Monde 26/08/2022
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INDICATIONS GÉOGRAPHIQUES

Un intérêt renouvelé pour l'origine des produits

Plus de 9 000 indications géographiques (IG) sont enregistrées dans le monde, dont plus de 1 500 dans l'Union européenne. Véritables outils de développement rural, quelles sont leurs perspectives à l'échelle du monde ?

Plus de 9 000 indications géographiques (IG) sont enregistrées dans le monde, dont plus de 1 500 dans l'Union européenne.

© Crédit photo : DR

Initiée par la France et l'Europe du Sud depuis plus d'un siècle, la protection juridique de l'origine des produits a été fixée en 1905, en France, puis étendue à toute l'Europe en 1992, avec la création de l'appellation d'origine protégée (AOP). L'expansion massive des indications géographiques dans le monde date, elle, de 1995, lors de la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), particulièrement dans le cadre de l'Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

"Cet accord a permis la diffusion d'une définition homogène de l'indication géographique dans tous les pays membres de l'OMC ; un niveau minimal de protection contre les utilisations (désignation et présentation des produits), qui induisent le public en erreur quant à l'origine géographique véritable du produit ; et un niveau de protection plus élevé qui est a minima obligatoire pour les vins et les spiritueux et peut être étendu à d'autres produits", détaille Delphine Marie-Vivien, chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Cette protection a incité nombre de pays à se lancer dans cette démarche. De son côté, l'Acte de Genève de l'Arrangement de Lisbonne de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, entré en vigueur en 2015, va permettre d'établir le premier système international d'enregistrement des indications géographiques (IG) et procurer un niveau élevé de protection contre les fraudes et contrefaçons, même en l'absence de risque de confusion du public.

Non à la standardisation

"Leur diffusion à l'international montre un intérêt renouvelé alors que c'est un petit système, au départ, à la française et à l'européenne, avec une démarche collective longue à mettre en place, soit entre 5 à 10 ans avant d'obtenir une IG. Ainsi, malgré toutes les difficultés de leur mise en œuvre, les contraintes autour de la traçabilité, de l'étiquetage ou encore du contrôle de la qualité, on assiste à un engouement certain pour cet instrument", souligne la chercheuse.

Et si les IG font mouche désormais, c'est aussi parce que c'est une tradition dans tous les pays de nommer les produits en fonction de leur lieu d'origine, et que cela répond à des pratiques existantes dans le monde entier. "Cela est partagé partout et sur tous les produits", indique-t-elle. À cela s'ajoute les attentes des consommateurs, à la recherche de produits non standardisés et de connaissances sur leur origine. "Les consommateurs sont de plus en plus demandeurs de produits locaux de qualité et certifiés/authentifiés. Or, les IG répondent en large partie à leurs attentes", commente-t-elle. Mais les objectifs attachés aux IG peuvent différer d'un pays à l'autre.

En raison de leur importance économique, sociale et culturelle, les IG sont donc devenues l'objet de négociations parmi un large éventail d'acteurs défendant des intérêts variés. Ainsi, les cadres juridiques régissant l'enregistrement et la protection des IG se sont multipliés dans le monde de manière très hétérogène, traduisant la variété des objectifs attachés aux IG. Dans ce contexte, "le moment est venu de proposer des perspectives et des idées nouvelles", rappelait la chercheuse, lors de la conférence internationale sur les perspectives mondiales pour les indications géographiques, organisée à Montpellier par le Cirad, en juillet dernier, et qui a réuni plus de 200 chercheurs, professionnels et praticiens de 53 pays du monde entier. 

Florence Guilhem •
Bouches-du-Rhône, Gard, Hérault 09/09/2022
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AOP TAUREAU DE CAMARGUE

Le changement climatique rebat les cartes de l'AOP

Reconnue officiellement en AOC en décembre 1996, puis en AOP en 2001, la production de viande de taureau de Camargue est soumise à un cahier des charges strict, mais certains des critères sont de plus en plus difficiles à tenir en raison du changement climatique.

Taureau de la race di Biòu de la Manade Tour du Valat.

© Crédit photo : AOP Taureau de Camargue

Raréfaction de la ressource d'eau, montée des températures, aléas climatiques à répétition et stress hydrique sur les productions végétales sont les premiers éléments qui viennent à l'esprit quand on évoque le changement climatique. Or, les productions animales ne sont pas plus épargnées, et cela ne concerne pas seulement la réduction de leurs ressources alimentaires. Les indications géographiques, dont certaines bénéficient, peuvent aussi être sujettes à caution. Telle est l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de l'AOP Taureau de Camargue.

Retour en arrière. Pour assurer la promotion de la viande bovine de Camargue et en obtenir une meilleure valorisation, metteurs en marché et éleveurs unissent leurs forces au sein d'une association, dès 1992, pour décrocher l'indication géographique. Entre le mode de production sur un territoire particulier, sa tradition et le savoir-faire des éleveurs, "on cochait toutes les cases pour la validation de ce dossier et l'obtention de l'appellation", rappelle Julie Richard, animatrice du Syndicat de défense et de la promotion de la viande AOP Taureau de Camargue.

La spécificité du produit étant évidente, le taureau de Camargue est reconnu en AOC en 1996, puis en AOP dès 2001. "Depuis, hormis quelques mises aux normes, il n'y a pas eu de modifications du cahier des charges initial", indique-t-elle. Mais le changement climatique rebat progressivement les cartes. "Nous nous sommes rendu compte au fur et à mesure qu'il fallait prendre en considération différents critères de notre cahier des charges, car ils ne correspondaient plus exactement à ce qui se passe sur notre territoire, dont le paysage et les caractéristiques ont évolué sous la pression du réchauffement climatique, ainsi d'ailleurs que sous la pression foncière", commente-t-elle. Conséquence : pas d'autre option que d'engager la révision dudit cahier sous peine de voir leur indication géographique remise en cause.

S'adapter au changement climatique

Avec le changement climatique, la période obligatoire de mise en pâture des animaux en zone humide, de mai à octobre, pose désormais problème. "Avec la succession des épisodes cévenols ou encore la sécheresse, les éleveurs ont parfois besoin de mettre plus tôt ou plus tard les animaux en pâture dans cette zone. Si nous ne remettons pas en cause la durée de pâture, soit 6 mois, nous demandons de faire évoluer le cahier des charges sur les mois fixés. Autrement dit, la période de mai à octobre ne correspondant pas toujours au moment où il y a suffisamment de nourriture pour les animaux, ne retenir que ces mois-là n'a plus de sens", relève Julie Richard.

Par ailleurs, toujours en ce qui con- cerne la zone humide, définie en 1995, force a été de constater que depuis le paysage a évolué en son sein. Aussi le syndicat demande-t-il que 892 ha soient ajoutés aux 145 042 ha retenus, même si seulement 25 150 ha sont pâturés par le Taureau de Camargue AOP. Et pour que la pâture reste l'alimentation principale des taureaux de Camargue, le syndicat propose que des limites soient fixées en termes de quantité, tant pour le foin que pour les céréales à la base de l'alimentation de ces animaux. Reste que le fourrage peut venir à manquer avec la sécheresse, ce qui a été le cas les quatre dernières années, et a contraint le syndicat à demander trois dérogations afin que les éleveurs puissent en acheter hors de la zone d'appellation et nourrir leurs bêtes dès septembre. Compte tenu du contexte, il a été demandé que le pourcentage de fourrage produit dans l'aire passe de 100 % à 80 %.

De même, comme certains éleveurs travaillent la terre à l'échelle de l'exploitation différemment, en favorisant notamment les prairies temporaires et les cultures fourragères, le taux de chargement de référence, à savoir 0,67 UGB/ha, soit 1,5 ha de terre pour un bovin à partir de ses 2 ans, peut être désormais augmenté. Et le syndicat de proposer de retenir plutôt 1,4 UGB/ha. "Cela a été acté dans le cahier des charges par le comité national de l'Inao, mais la procédure est toujours en cours. Si tout se passe bien, on devrait avoir la validation à l'automne", indique l'animatrice.

Ainsi, si des réponses peuvent être apportées et acceptées par rapport au dérèglement climatique, et préserver le maintien de l'indication géographique, un autre facteur de changement préoccupe tout autant, si ce n'est plus, les éleveurs engagés dans cette démarche, à savoir celui de la tradition de cette production.

Une tradition impactée

La relation à la tradition du territoire est en effet un autre des piliers de reconnaissance d'une identité géographique. Pour l'élevage des taureaux de Camargue dans le respect de la tradition locale et de sa culture, ces derniers doivent être destinés aux courses camarguaises ou corridas. Mais "pour les mettre en course ou en corrida, il faut les essayer dans les écoles taurines. Or, il manque des courses pour essayer les taureaux. À cela s'est ajouté le Covid, empêchant que des essais de taureaux soient réalisés. De ce fait, beaucoup de manadiers ont décidé de réduire les naissances", relève Julie Richard.

De plus, à la suite de plusieurs accidents lors de manifestations de rue et autres jeux, les assurances des manadiers ont flambé, décourageant un certain nombre d'entre eux à poursuivre ces activités. Par ailleurs, au début de cette année, l'accident qui a coûté la vie à un stagiaire lors d'une course de ligue a douché les envies de beaucoup de jeunes tentés par cette carrière. "On est vraiment dans une période qui pose beaucoup de questions, car pour être habilités AOP Taureau de Camargue, les animaux doivent participer à des manifestations taurines. C'est une partie importante de la tradition telle qu'elle est définie dans le cahier des charges, et c'est un point très contrôlé. S'ils ne participent à aucune manifestation, ils sont suspendus d'office. De fait, si, demain, il n'y a plus de courses, il n'y a plus d'AOP Taureau de Camargue", s'inquiète l'animatrice du syndicat.

Aussi le président du syndicat, Étienne Villiet, tire-t-il depuis la sonnette d'alarme. "Ce mode d'élevage extensif nous garde du danger des excès de l'agriculture intensive et de l'extension des zones urbaines au détriment des zones naturelles, dont les zones humides. Nous devons donc tout faire pour défendre le Taureau de Camargue AOP", martèle-t-il. Il en va de la survie de cette filière, mais aussi de la préservation des équilibres naturels de ce territoire si singulier. 

Florence Guilhem •
Aude, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales 26/08/2022
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Vins Pays d'Oc

IGP Pays d'Oc : garder un potentiel de vignes

L'IGP Pays d'Oc a vu le jour le 1er août 2009, dans le cadre de la nouvelle segmentation des vins prévue par l'Europe. Comme toutes les autres indications géographiques, elle est confrontée au changement climatique dans sa production.

L'aire de production de l'IGP couvre 120 000 ha, soit plus de la moitié de la surface de production du bassin viticole Languedoc-Roussillon.

© Crédit photo : Pays d'Oc

"Pour nous, cela a été une grande récompense de devenir un signe officiel de qualité au même titre qu'une AOP. L'obtention de l'IGP est venue couronner 30 ans de travail des vignerons et coopérateurs sur l'aire de production des Pays d'Oc, et a permis d'intégrer dans le cahier des charges le concept innovant que l'on défendait à l'époque, soit des vins de cépages", se remémore Florence Barthés, directrice générale des vins de Pays d'Oc IGP. Comme pour les AOP, les vins en IGP sont soumis à un cahier des charges précis.

Outre la définition de l'aire géographique - l'intégralité de l'ex- Languedoc-Roussillon pour Pays d'Oc, en allant de Beaucaire jusqu'à Perpignan, et en passant par six petites communes de Lozère, soit une superficie totale de 120 000 ha  -, ainsi que celle des rendements moyens maximum en fonction des couleurs (90 hl/ha pour les rouges et les blancs, et 100 hl/ha pour les rosés, "mais personne ne les fait", relève la directrice), comme pour toute indication géographique, aucune directive n'est cependant obligatoire dans le cahier des charges sur la conduite du vignoble à la différence des appellations, par exemple.

100 % de contrôle

En revanche, Pays d'Oc se distingue des autres IGP par son cahier des charges qui impose l'obligation d'une dégustation organoleptique pour décrocher la certification. Si d'autres IGP sont aussi à 100 % de contrôle, elles ne le sont pas sur l'intégralité des volumes comme en Pays d'Oc. "100 % des vins IGP Pays d'Oc sont contrôlés et certifiés par le Bureau Veritas certification. La charge de contrôle se fait sur l'ODG (Organisme de défense et de gestion) et non les vignerons. Ce qui implique, pour nous, une organisation au cordeau. D'autant qu'il nous faut aller très vite au vu de l'organisation du marché des vins de cépages dans le monde", détaille la directrice générale. Mais tel est le choix des élus de l'interprofession des vins Pays d'Oc IGP pour garantir une qualité irréprochable, et même l'excellence.

Dans l'OCM, Pays d'Oc a l'obligation d'avoir trois familles de dégustateurs par jury pour les dégustations organoleptiques : les usagers du produit, les professionnels (vignerons et maîtres de chai de caves) et les techniciens de la filière qui sont tous les laboratoires et les œnologues. "Cela représente un panel de jury d'environ 450 dégustateurs, et le planning est fait au semestre pour pouvoir tenir le rythme, car nous dégustons, en moyenne, 900 cuves à la semaine. Les prélèvements se font à la cuve, et, ce sur les quatre départements et les six communes de Lozère", dit Florence Barthés. Une procédure très stricte, qui n'a pas évolué au fil du temps dans le cahier des charges, les seules modifications portant sur le rendement moyen pour les rosés, passé de 90 à 100 hl/ha, et sur l'ajout de l'albarino et de 5 cépages résistants (cabernet cortis, cabernet blanc, muscaris, souvignier gris et soreli) en raison du changement climatique.

L'impact du changement climatique

Avec les températures excessives et la sécheresse, qui sont récurrentes d'une année sur l'autre, l'impact du dérèglement climatique se fait sentir de plus en plus. "Avec la répétition des aléas climatiques depuis cinq ans, il ne se passe pas un millésime sans problème. Si ce n'est pas une poussée de maladies cryptogamiques, c'est la sécheresse, la grêle, ou encore le gel comme en 2021 qui influent sur la production. Mais la chance que nous avons, c'est que la grandeur de notre vignoble en Pays d'Oc parvient à compenser les pertes, hormis en 2021, où nous avons essuyé une perte de production de l'ordre de 30 %. De ce fait, le sourcing de marque a pu s'installer, car il est régulier. Il n'y a pas d'à-coups. L'enjeu du changement climatique pour nous, c'est l'eau, car 60 % de notre vignoble n'est pas irrigué. Or, les vignes qui ne le sont pas souffrent bien plus, comme on peut le constater à chaque sécheresse. D'où l'importance d'avoir accès à l'eau et que soient créées des retenues collinaires", commente la directrice générale.

Face au manque d'eau et aux phénomènes récurrents des aléas climatiques, Pays d'Oc a décidé de prendre le taureau par les cornes en engageant un travail de réflexion avec les chercheurs de l'Inrae dans le cadre du projet porté par Montpellier Université d'excellence ('Muse'). Un découpage du vignoble sur des zones pédoclimatiques a été réalisé. "On s'aperçoit qu'il y a des possibilités d'évolution du vignoble, voire d'implantation de certains cépages dans certaines zones qui fonctionnent mieux que dans d'autres, et vice-versa. C'est un gros travail de fond qui est mené avec ces chercheurs, qui devrait aboutir à des changements au niveau du vignoble", détaille-t-elle.

Par ailleurs, le plan collectif régional sur les plantations est un autre levier. "Dans tous les cas, il faut garder un potentiel de volume pour exister sur les marchés et la typicité des cépages. À terme, il se peut que certaines zones se spécialisent plus en rouge, en blanc ou en rosé. Mais, comme je le disais précédemment, la grandeur du vignoble et sa diversité nous permettent de décliner des volumes conséquents sur les trois couleurs", ajoute-t-elle. Un autre des enjeux dans le cadre du projet 'Muse' est l'optimisation des rendements de 4 à 5 hl supplémentaires selon les zones et les cépages.

Autre outil de réflexion : la régulation de l'offre au travers de la constitution d'une réserve de résilience, permettant également de faire face aux aléas climatiques ou en cas de hausse de la demande du marché. Ce projet est actuellement en cours d'approbation par les pouvoirs publics. Son principe ? Donner la possibilité aux producteurs de constituer une réserve individuelle volontaire au sein du rendement maximum de production. Le volume maximum de cette réserve, constitué de vin certifié en IGP Pays d'Oc, serait de 15 % au-delà du BIC (besoin individuel de l'exploitation). "On est un vignoble qui non seulement est sans arrêt dans l'innovation, mais aussi dans l'adaptabilité en dépit de sa taille. C'est notre force et notre valeur. Sans compter que l'IGP Pays d'Oc représente un formidable levier économique tant pour le développement économique des territoires et pour les hommes", conclut Florence Barthés. 

Florence Guilhem •
Monde 26/08/2022
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INDICATIONS GEOGRAPHIQUES

"Changer un cahier des charges n'est pas un drame"

Protection juridique à l'international, gouvernance, critères des cahiers des charges, impacts du changement climatique, durabilité... sont les problématiques inhérentes aux IG. Éclairage avec Delphine Marie-Vivien, chercheuse au Cirad.

Delphine Marie-Vivien : "Opérer une migration de la production pour faire face au changement climatique est impossible. La seule option est d'inventer des manières de produire différentes, tout en restant dans l'esprit de l'appellation."

© Crédit photo : Cirad

Pouvez-vous nous rappeler quelle est la définition d'une indication géographique ?

Delphine Marie-Vivien : "Une indication géographique identifie un produit qui possède une origine géographique spécifique (IG) et en tire des qualités ; des caractéristiques ou une réputation particulière. Ces qualités sont le résultat de facteurs naturels et/ou humains. Elles sont fondées sur les connaissances, les pratiques et les savoir-faire communs à un collectif dans un territoire donné. Les règles d'élaboration d'une IG sont inscrites dans un cahier des charges et font l'objet de contrôles, exercés par un organisme indépendant. Une indication géographique protège ainsi la réputation du produit, et permet de valoriser un bien collectif intrinsèquement lié à un territoire."

Concrètement, quel intérêt pour des producteurs de mettre en place une indication géographique au vu de la complexité de la démarche et de la longueur de la procédure ?

D. M.-V. : "Sur le plan économique, les indications géographiques jouent un rôle important pour le développement des territoires ruraux et le maintien de leurs emplois. Une fois cela dit, cela ne marche pas à tous les coups, mais, dans l'ensemble, ça fonctionne plutôt bien, à condition toutefois qu'elles soient garanties par un système de contrôle de la qualité fiable, et qu'une répartition équitable de la valeur ajoutée des produits soit faite entre les différents acteurs de la chaîne de valeur.

De plus, les IG peuvent avoir un impact positif sur l'environnement, du fait, entre autres, du maintien d'une agriculture extensive. De même, les indications géographiques s'appuient souvent sur des variétés traditionnelles et, grâce à cette démarche, celles-ci peuvent perdurer sur les territoires, ce qui assure également la durabilité et la diversité des systèmes alimentaires. La préservation d'un savoir-faire ancien et partagé est, enfin, un des piliers de la reconnaissance des produits en IG, ainsi que de la tradition. Après, il ne faut pas non plus faire d'angélisme, car tous les produits ne sont pas durables. La tradition n'est pas toujours forcément positive !"

Justement par rapport à la tradition, un des socles de reconnaissance d'une IG, quel type d'innovation peut-il être apporté tout en maintenant le lien à l'origine ?

D. M.-V. : "On demande, en général, qu'il y ait au moins une ancienneté d'une génération par rapport au mode d'élaboration du produit. Si ce critère n'est pas codifié comme tel dans la règlementation, dans la pratique, c'est ainsi que cela se passe. Toutefois, si l'on peut démontrer que l'innovation mise en place n'a pas d'impact sur le lien à l'origine, elle peut être introduite dans le cahier des charges. Aujourd'hui, par exemple, tout un débat a lieu autour de l'intégration du robot de traite dans le processus de fabrication de fromages ou encore autour de la cueillette mécanisée, comme pour le thé au Sri Lanka. La question est la suivante : jusqu'où peut-on mécaniser tout en conservant la qualité liée à l'origine du produit ?"

 "Jusqu'où peut-on mécaniser tout en conservant la qualité liée à l'origine du produit ?"

Le changement climatique impose et imposera inéluctablement des changements dans les modes de production. Cela peut-il remettre en cause la reconnaissance de certaines IG ?

D. M.-V. : "Il est vrai que certaines d'entre elles pourraient être en danger en raison des impacts du changement climatique, puisqu'elles sont dans l'impossibilité de "se déplacer"de par leur nature même et leur lien intrinsèque à leur terroir. Elles devront donc s'adapter et innover pour faire face à ce défi, mais tout en continuant à mettre en valeur les savoir-faire traditionnels. Si, dans les IG nouvelles, on peut d'ores et déjà prévoir dans les cahiers des charges des manières de produire et une zone géographique adaptées au changement climatique, qui soient compatibles avec un savoir-faire traditionnel, c'est plus délicat pour les IG anciennes, car cela bouscule beaucoup l'esprit même de l'IG.

Conséquence : des produits pourraient peut-être disparaître car, en matière d'appellation, les noms étant liés aux territoires, on ne peut pas les changer. Que deviendraient ainsi le Taureau de Camargue ou le riz de Camargue si la Camargue est submergée par la mer ? Comme je le disais, opérer une migration complète de la production pour faire face au changement climatique est impossible. Une option est donc d'inventer des manières de produire différentes avec, par exemple, pour le vin, l'intégration des cépages résistants à la sécheresse dans les cahiers des charges, tout en restant dans l'esprit de l'appellation, soit un équilibre subtil entre innovation et tradition, qui se pose dans les mêmes termes que l'innovation par mécanisation, par exemple."

Ne serait-il pas plus simple de changer la définition des IG ?

D. M.-V. : "Non, ce n'est pas le sujet. La question qui se pose est plutôt à l'échelle des cahiers des charges. Qu'est-ce-que l'on change ? Les débats actuels au sein de l'Union européenne sur cette question tournent autour du rajout de critères de durabilité dans les cahiers des charges. Ainsi, par exemple, pour l'AOP Taureau de Camargue (lire aussi page 9), la pâture des animaux dans les zones humides fait partie de son cahier des charges.

"Les débats actuels au sein de l'UE tournent autour du rajout de critères de durabilité dans les cahiers des charges."

Si ces zones viennent à disparaître, concrètement, il n'y aura plus de production possible en AOP. Il faut donc chercher ce qui fait sens, sans distordre le concept d'origine. Après, changer un cahier des charges, ce n'est pas non plus un drame, car celui-ci n'est pas figé. C'est un outil dynamique, et ce depuis toujours. Le cahier des charges de l'appellation Roquefort a, par exemple, été modifié plus de cinq fois depuis le premier texte en 1925."

Une autre question cruciale est celle de la protection des IG à l'international ? Entré en vigueur en 2020, qu'apporte l'Acte de Genève à ce sujet ?

D. M.-V. : "L'intérêt essentiel de l'Acte de Genève a été de donner une définition vraiment homogène de ce que sont une appellation d'origine et une indication géographique, et de conférer une protection élevée contre les fraudes, les contrefaçons et les imitations, qui permet de sécuriser tous les efforts des producteurs. Cet acte facilite également l'enregistrement international. Il suffit de déposer une demande d'enregistrement à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à Genève, et le nom est automatiquement protégé dans tous les pays membres, sauf opposition dans un délai restreint. 

Intégrant la définition plus souple de l'indication géographique introduite par l'Accord ADPIC de l'OMC, et donc répondant à ce que les pays ont mis en place au niveau national, l'Acte de Genève a permis d'intégrer plus de pays membres de l'OMPI dans ce système d'enregistrement international créé par l'Arrangement de Lisbonne de 1958. Nous sommes ainsi passés de 25 à 38 parties contractantes, couvrant jusqu'à 57 pays, et nous espérons atteindre une cinquantaine d'ici la fin de l'année. Cet acte représente donc une véritable avancée pour la protection internationale des appellations d'origine et des indications géographiques."

Autre question, celle de la gouvernance. Les IG présentant des systèmes différents dans le monde entier, faudrait-il envisager la mise en place d'un fonctionnement plus homogène ?

D. M.-V. : "La gouvernance des IG est en effet très différente d'un pays à l'autre. Si, en France, elles sont gérées par des syndicats de producteurs (ODG) ou des associations, dans des pays aux gouvernements forts, ce sont plutôt les autorités publiques locales qui assurent la gouvernance. À noter que le système français est unique en son genre du fait du très fort accompagnement des pouvoirs publics à travers l'Inao et de la présence en nombre des producteurs au sein des comités de l'Inao, qui statuent sur la reconnaissance des IG.

"La gouvernance des indications géographiques est très différente d'un pays à l'autre."

Un tel modèle, fondé sur un partenariat public-privé innovant, fait son chemin à l'échelle internationale. La difficulté est que certains pays n'ont pas les moyens de créer une institution similaire à l'Inao. Au niveau de chaque produit, mettre en place un modèle de gouvernance, au travers d'un organisme de défense et de gestion devant représenter l'ensemble des acteurs de la filière, est un véritable atout pour toutes les IG, sur lequel les différents pays réfléchissent."  

Propos recueillis par Florence Guilhem •
Gard 26/08/2022
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OIGNON DOUX DES CÉVENNES

Une filière inquiète pour sa production

Reconnu AOC en 2003, puis AOP depuis 2008, l'oignon doux des Cévennes n'échappe pas aux impacts du dérèglement climatique. Quelques changements s'imposent pour y faire face et pérenniser cette culture.

2 500 à 3 000 t d'oignons doux des Cévennes sont produites dans des années "normales", à savoir sans aléas climatiques ou pression sanitaire.

© Crédit photo : DR

Premier oignon à avoir obtenu une AOC en 2003, puis une AOP en 2008, l'oignon doux des Cévennes est un des patrimoines agricoles fort de la région, dont des traces de sa culture remonte au XVe siècle. Véritable poumon économique des Cévennes, l'AOP regroupe 32 communes des Cévennes méridionales, de Saint-André-de-Valborgne jusqu'au Vigan. "Cette production permet de faire vivre une centaine de familles d'agriculteurs, de maintenir l'emploi dans notre territoire, l'artisanat local et aussi les écoles", indique Gaël Martin, président de l'association de défense de l'AOP Oignon doux des Cévennes.

Aussi, décrocher une appellation d'origine contrôlée est-elle apparue essentielle aux yeux d'un groupe de producteurs, quand il crée, en 1991, une coopérative, la Sica Oignon doux des Cèvennes (devenue aujourd'hui 'Origine Cévennes'), tant pour sécuriser la production et éviter les plagiats que pour valoriser au mieux ce produit, qui se distingue par ses saveurs douces, son fondant à la cuisson, et la longue durée de sa conservation.

Un terroir sous labels

Mais la procédure d'obtention de l'AOC étant un parcours du combattant, il aura fallu plus de dix ans pour sa reconnaissance. Réunissant aujourd'hui 108 producteurs, dont 80 % des adhérents de la coopérative, sur 52 ha reconnus en AOP, les principaux critères du cahier des charges concernent le sol (- 15 % d'argile dans le sol, terres sablonneuses ou de schistes), l'orientation et l'altitude des parcelles (entre 250 et 700 m d'altitude pour le versant sud, et pas au-delà de 650 m pour le versant nord), un repiquage et une récolte manuels.

Si ce combat pour l'obtention de l'appellation a été de longue haleine, il a été toutefois payant, puisque toute la production, entre 2 500 et 3 000 t dans les années normales, est commercialisée (80 % dans les GMS françaises et les grossistes de Rungis et 20 % à l'export, vers l'Italie, l'Allemagne et, depuis cette année, vers la Suisse), et la majeure partie des producteurs de l'oignon doux des Cévennes vit exclusivement de cette culture. "C'est un produit très rémunérateur, même si la superficie totale de l'AOP ne représente que 52 ha. Et si rémunérateur que les exploitations s'agrandissent au fil des années et se spécialisent dans cette culture", précise Gaël Martin.

Avant d'ajouter : "Ce qui fait notre force, c'est vraiment le terroir." Façonné par cette production agricole en terrasses, très ancrée dans son territoire et respectant l'harmonie du paysage, ce terroir a reçu, en 2011, la labellisation 'Site remarquable du goût'. Mais celui-ci doit faire face depuis quelques années aux "assauts" du dérèglement climatique, qui ne sont pas sans conséquence pour la production et ces paysages façonnés par la main de l'homme.

Sécheresse et épisodes cévenols

Jusqu'ici, les producteurs d'oignons doux des Cévennes étaient principalement confrontés à des épisodes cévenols violents et répétés. Le dernier en date, le 19 septembre 2020, a provoqué des dégâts considérables, détruisant les murs des terrasses sur lesquelles sont cultivés les oignons. Cet aléa climatique avait été précédé quelques mois plus tôt, soit en juin, par un autre de même nature, qui avait surpris toute la profession, car cela ne s'était jamais produit en cette période. "Beaucoup de parcelles en AOP oignon doux des Cévennes ont disparu après le mois de septembre. Comme nous avons quatre ans pour remonter les murs, nous n'avons pas encore fini de recenser les pertes", indique le président.

Au déluge des précipitations (900 mm en 12 heures, le 19 septembre 2020), vient s'ajouter aujourd'hui un autre "déluge" consécutif au dérèglement climatique : la présence de cicadelles qui sèment le désordre dans les parcelles d'oignons doux, en venant s'y installer pour fuir la sécheresse sévissant dans ses habitats habituels. "C'est la chaleur qui la fait se propager. Le problème avec ce ravageur, c'est qu'en"piquant"la plante, il y laisse des phytoplasmes, soit des bactéries qui la contaminent", détaille Gaël Martin. Aucune exploitation n'y échappe, certaines sont touchées à 70 %, voire 90 %, d'autres autour de 10 %. "On n'avait jamais vu cela", s'inquiète le président de l'AOP. Et de prévoir déjà une perte de rendement pour la prochaine récolte, qui a débuté début août.

Le principal ennemi pouvant mettre en péril la culture reste cependant le manque d'eau. "Il nous faut de l'eau dans les bassins de rétention, et il faudra en créer pour pouvoir la stocker", insiste le président, craignant aujourd'hui un arrêté de restriction d'irrigation au vu de la canicule. L'autre bataille de l'association porte, elle, sur la mécanisation du repiquage. "C'est un projet qui nous tient à cœur. Nous allons tester cette année sur quelques parcelles une mécanisation du repiquage. Si nous souhaitons mécaniser le repiquage, c'est pour pouvoir désherber mécaniquement, et ainsi limiter les intrants", détaille le président.

L'association travaille de concert avec l'Inao sur la mise en place d'un protocole pour pouvoir faire évoluer le cahier des charges de l'AOP Oignon doux des Cévennes. Et ainsi mettre en adéquation la préservation de l'environnement avec les attentes sociétales, au cœur des démarches actuelles des indications géographiques. Reste que la succession des aléas climatiques d'une année à l'autre, comme c'est le cas aujourd'hui, fait se poser des questions à nombre de producteurs sur la pérennité de cette culture. "Si on enlève cette économie des Cévennes, que va-t-il y rester ?", s'alarme, de son côté, le directeur de la coopérative, Thomas Vidal. 

Florence Guilhem •

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