France 05/08/2022
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Sécheresse

"2022 est une année noire pour l'agriculture"

Agroclimatologue chez ITK, une entreprise française spécialisée en agriculture

de précision qui propose des solutions

pour évaluer l'impact du climat sur l'agriculture, Serge Zaka nous livre son analyse sur l'actuelle période de sécheresse. 

Serge Zaka : "Dans certaines régions, les viticulteurs remarquent que les feuilles et les grappes commencent à se dessécher, ce qui caractérise un début de stress hydrique. Il faudra sans doute attendre fin août pour avoir une meilleure idée de l'ampleur du phénomène."

© Crédit photo : ITK

Comment analysez-vous la très chaude période que l'on traverse depuis quelques semaines ?

Serge Zaka : "En termes d'impacts, l'année de référence qui est 1976 a été dépassée. Les indices hydriques sont très faibles, en-dessous cette année-là, à des niveaux jamais observés jusqu'à présent. Je pense que 2022 battra malheureusement des records absolus. La longévité de la sécheresse conjuguée aux fortes chaleurs impactent considérablement toutes les cultures, à l'exception toutefois du colza qui a pu échapper à ce phénomène, grâce à des conditions relativement favorables.

Les producteurs de pois devraient perdre 20 % de leur récolte, les récoltes d'orge de printemps devraient reculer de 12 %, le blé de 4 %. Encore faut-il préciser que ces chiffres sont des moyennes, et qu'il existe de grandes disparités régionales et locales. En Bourgogne Franche-Comté, par exemple, il faut s'attendre à une récolte de blé en chute de 15 à 25 % selon les endroits.

"Ces phénomènes de stress sont longs et intenses pour toutes les plantes."

D'autres productions sont en grande souffrance comme le maïs, ainsi que les fruits et légumes. Les températures sont trop élevées. Le stress thermique s'ajoute au stress hydrique, et l'on constate un avortement des grains et des problèmes de pollinisation. Ces phénomènes de stress sont longs et intenses pour toutes les plantes."

Faut-il craindre les mêmes consé- quences pour le fourrage ?

S.Z. : "Bien entendu. Au 20 juillet, les estimations portaient sur un recul d'environ 21 %. Mais, à l'heure où je vous parle (6 août ndlr), nous serions plus proche de 30 %. Beaucoup d'éleveurs ont d'ores et déjà attaqué leurs stocks d'hiver, et l'on sent monter un phénomène de décapitalisation, de vente de cheptel. Faute de pouvoir les nourrir au prix sans doute fort, les éleveurs préfèrent vendre et tenter de sauver ce qui peut l'être. C'est d'ailleurs l'un des gros points noirs.

Aux problèmes liés à l'alimentation animale s'ajoute aussi celui de la fertilité des vaches sur le moyen et le long terme. Ce qui laisse présager une baisse assez importante de la quantité de lait dans les prochains mois."

Faut-il s'attendre à une amélioration dans les prochains jours ?

S.Z. : "Non, je n'ai pas de bonnes nouvelles. Une quatrième vague de canicule est en train de toucher la façade atlantique et le sud-ouest de la France depuis le 10 août, pour une période d'environ cinq jours, avec, de surcroît, un vent d'est qui va accentuer l'assèchement des cultures et des sols. On commence d'ailleurs à constater le phénomène sur les vignes, une plante réputée résistante au stress hydrique. Mais elle aussi commence à atteindre ses limites. Dans certaines régions, les viticulteurs remarquent que les feuilles et les grappes commencent à se dessécher, ce qui caractérise un début de stress hydrique. Il faudra sans doute attendre fin août pour avoir une meilleure idée de l'ampleur du phénomène.

D'une manière globale, à quelques rares exceptions, on peut dire que l'année 2022 est une année noire pour l'agriculture."

Les causes de ce dérèglement sont-elles connues ?

S.Z. : "Le changement climatique est une accentuation du cycle de l'eau dans des proportions parfois exacerbées. L'an dernier, en 2021, l'été avait été très humide. Cette année, il est extraordinairement sec. Le phénomène d'assèchement en été se mesure avec des précipitations en moyenne inférieures de 20 à 40 mm, et le phénomène d'humidité en hiver résulte de précipitations supérieures de 20 à 40 mm. Nous avons aussi constaté à ITK que les surfaces en sécheresse augmentaient régulièrement depuis 1959. À cette date, nous étions à environ 5 % de surfaces en sécheresse. En 2020, nous étions à 12 %, soit plus du double. Cela représente des dizaines, voire des centaines de milliers d'hectares plus secs chaque année.

"Le changement climatique est une accentuation du cycle de l'eau dans des proportions parfois exacerbées."

Tous ces éléments m'amènent à penser qu'il est plus que jamais nécessaire d'apprendre à mieux gérer les stocks. Cela étant, bien que la situation soit très compliquée, le système de traitement et d'adduction des eaux est devenu plus efficace. De même, l'amélioration de la génétique des plantes nous permet d'être plus résilients qu'en 1976 et même qu'en 1921, date à laquelle une grande sécheresse avait apporté famine et désolation dans certaines parties de l'Europe. Ce sont ces progrès techniques qui nous permettent aujourd'hui de mieux faire face, même si la situation générale reste préoccupante."

"Il est plus que jamais nécessaire d'apprendre à mieux gérer les stocks."

L'adaptation de l'agriculture pas- sera-t-elle par celle des plantes ?

S.Z. : "La biogéographie est très intéressante pour connaître nos futurs paysages, mais aussi nos futures productions agricoles et l'économie qui en découle. Il est certain, par exemple, que de nombreuses essences d'arbres commencent naturellement leur migration vers le nord, à l'image du chêne vert méditerranéen. Il commence à l'implanter vers Carcassonne, et nous pourrions le voir en 2050 dans les régions de Toulouse, Bordeaux et Lyon.

De nouvelles cultures comme le mil ou la pistache pourraient venir se compléter et, pourquoi pas, se substituer à des cultures plus traditionnelles, car moins gourmandes en eau, tout aussi adaptées au sol et tout aussi rentables. Mais il ne suffit pas que les cultiver. Encore faut-il avoir des débouchés, des consommateurs, des filières, des circuits de vente derrière. Ce rôle de structuration appartient à l'État."   

Propos recueillis par  Christophe Soulard •

UTILE-

Sécheresse : une cellule interministérielle de crise installée

La Première ministre, Élisabeth Borne, a annoncé, le 5 août, par voie de presse, l'activation d'une cellule interministérielle de crise. Celle-ci doit "permettre d'assurer une remontée d'information régulière par les préfets de département des zones les plus touchées, d'anticiper l'activation éventuelle des plans ORSEC"eau"pour les agglomérations concernées et de coordonner les mesures de sécurité civile nécessaires (approvisionnement en eau des communes, livraison d'eau potable, etc.)", indique-t-on à Matignon.

Les prévisions météorologiques laissent en effet présager que cette sécheresse devrait perdurer jusqu'au 20 août et, par conséquent, aggraver une situation déjà critique dans de nombreux secteurs. "La sécheresse exceptionnelle que nous connaissons (...) prive d'eau de nombreuses communes et est un drame pour nos agriculteurs, nos écosystèmes et la biodiversité", indiquent les services d'Élisabeth Borne. Pas moins de 93 départements sur les 96 que compte le territoire métropolitain font l'objet de restriction d'eau : 62 sont en "situation de crise", quatre en état d'alerte et 27 en état d'alerte renforcé. 

Florence Guilhem •

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